Aspects de la représentation

Colloque jeunes chercheurs, Lyon 2004
CPER "Représentationnalisme", ENS-LSH

Pierre Jacob
Portee et limites du naturalisme de Chomsky

P. Jacob est directeur de recherche à l'Institut Jean Nicod (CNRS-ENS-EHESS).

Résumé

Chomsky a jeté les bases d'une approche scientifique computationnelle de la faculté humaine du langage: la grammaire générative. Son but fondamental est de fournir une caractérisation finie et testable des procédures récursives permettant de former un ensemble infini de phrases d'une langue donnée à partir d'un stock fini d'items lexicaux. En réponse au critiques des philosophes à l'encontre de ce modèle, Chomsky distingue deux versions du naturalisme: le naturalisme méthodologique et le naturalisme métaphysique. Le naturalisme méthodologique est l'affirmation que les sciences de l'esprit, comme les sciences de la nature (physique, biologie), n'ont pas à soumettre leur concepts à l'autorité des concepts de sens commun de langage, de savoir ou de conscience. Le naturalisme métaphysique consiste en trois, voire quatre thèses: 1) physicalisme, 2) réalisme intentionnel, 3) les explications psychologiques des actions humaines sont intentionnelles, 4) (optionnelle) l'externalisme. Chomsky adopte le premier et rejette le second.

Chomsky rejette le réalisme intenntionnel, et en particulier la théorie computo-représentationnelle de l'esprit défendue Fodor. Il lui reproche de vouloir concilier la psychologie naïve et les modèles computationnels, et d'attribuer des propriétés causales aux propriétés sémantiques.

Chomsky rejette l'externalisme, en s'appuyant sur deux arguments. 1) La symétrie phonologie-référence: la relation de référence entre les représentation mentales et les choses n'a pas plus de contenu scientifique que la relation des représentations mentales aux sons. 2) la thèse néo-cartésienne selon laquelle ce que nous faisons grâce au langage reste un mystère, parce que les êtres humains sont libres de choisir leurs actions, couplée à l'idée Strawsonienne que la référence est quelque chose que nous faisons avec le langage. Mais cette dernière enfreint les principes même du naturalisme méthodologique: alors que la théorie computo-représentationnelle cherche seulement à concilier la psychologie naïve et les modèles computationnels, Chomsky assujettit ici cette théorie proto-scientifique à l'autorité du concept de sens commun de liberté.

Chomsky rejette le physicalisme. Selon lui, la controverse entre le monisme physicaliste est dépourvue de contenu, parce qu'il n'y a pas de conception stable du physique, en raison de l'évolution constante des théories physiques. Chomsky veut remplacer ce problème par le problème authentique de l'unification entre les théories computationnelles de la faculté du langage et les théories scientifiques du système nerveux. Mais on lui oppose le dilemme suivant: pourquoi chercher l'unification? Soit on postule que l'unification est une vertu épistémique elle- même inexplicable. Soit on l'explique en supposant que les théories computationnelle et neurale abordent le cerveau humain à différents niveaux. Or la notion de niveau est un concept ontologique. Si donc le but épistémique d'unification ne peut être explicité qu'en admettant que les propriétés computationnelles de la faculté du langage sont des propriétés "émergentes" du cerveau humain, alors l'ontologie physicaliste sert mieux l'explication du but de l'unification théorique que l'ontologie dualiste.

Ce résumé est copyright P. Jacob.